Category Archives: politique

Les portraits de femmes de Françoise Huguier, pour la Liberté de la Presse.

Dans tous les kiosques de France en mars 2018, sortie du nouvel album photographique de Reporters sans Frontières pour la liberté de la presse dans le monde. Parmi toutes ces magnifiques images, de Djibouti à la Sibérie en passant par le Vietnam (pays de l’enfance de Françoise Huguier, qui n’y a pas vécu que des moments heureux), des photos de femmes en Russie : Ce sont les portraits de femmes de Françoise Huguier m’ont le plus marquée.

Cette photographe française née en Vendée en 1942 n’a cessé de parcourir le monde avec son appareil photo. Les portraits rassemblés ici sont des photographies prises au cours de dix années de voyages en Russie, spécialement à Moscou, pour faire le portrait de femmes vivant dans des appartements communautaires. Une longue immersion pour capter la confiance de ces femmes photographiées dans leur intimité quotidienne. Les photographies parlent d’elles-mêmes et révèlent à la fois la personnalité et l’environnement des femmes qui sont sont laissées prendre au jeu documentaire de la photographe.

Des images puissantes et respectueuses, des photos de femmes magnifiques et dignes.
Ces images , je les avais découvertes il y a quelques années, en feuilletant un livre. J’étais allée me faire tirer le portrait par un photographe à Lille, que m’avait recommandé une de mes amies. En patientant dans son studio (joliment nommé Studio 1822 photographie, il ya une histoire là-dessous), je feuilletais un des nombreux livres photo que collectionne Luc Camberlein, le photographe en question. Et si son style, avec ses portraits en studio et sa jolie lumière, est éloigné des photos de Françoise Huguier, j’avais apprécié quelque chose d’unique qui y faisait écho : c’était de vrais portraits, de “vraies femmes”, avec un regard humain et bienveillant, et aussi une volonté de mettre en valeur la beauté particulière et unique de chacun(e).

Je vous recommande ce photographe si vous passez dans le Nord de la France : son studio photo, au coeur de la métropole lilloise, est un havre de paix et un écrin où on se sent tout de suite bien. J’avais été enchantée de mes portraits et quand je reviendrai à Lille, je ferai une nouvelle séance ! Je vous invite à découvrir une partie du travail de ce photographe pro à Lille

La controverse des femmes

Dans le viol d’une femme (ou d’un homme), le seul qui perd sa dignité est le violeur. La dignité de la femme violée n’est absolument pas en cause. Les signataires de la tribune du Monde ont donc littéralement raison, et leurs détracteurs font, sur ce point, au mieux un contre-sens, au pire une mauvaise action, en accordant au violeur un pouvoir moral qu’il n’a pas sur sa victime. La tribune publiée par Le Monde le 9 janvier intitulée (1) : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », a suscité des réactions extrêmement violentes. Le passage ci-dessous a beaucoup choqué :  « Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d’elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à notre corps. » Voici la réaction à cette phrase de l’éditorialiste M. Nicolas Domenach, elle est assez significative : « Autrement dit, toutes celles qui ont été outragées, brutalisées, et même violées n’ont pas à se plaindre. Une telle inconscience suscite la nausée effectivement. » Nicolas Domenach, avec la plupart des commentateurs, fait un contresens total. Qu’est-ce que la dignité ? Voici une définition du Larousse : «Respect que mérite quelqu’un ou quelque chose.» Les victimes de viol ont-elles perdu le respect que nous leur devons ? Evidemment pas. Seul le violeur a perdu notre respect, seul le violeur a perdu sa dignité. Une victime de viol peut être traumatisée (parfois à vie), souffrir énormément, mais la seule chose, précisément, à laquelle son violeur n’a aucun accès, c’est sa dignité. Une victime de viol ne perd pas plus sa dignité qu’une victime d’attentat restée handicapée, pour prendre un autre exemple de crime insupportable. La dignité d’une femme n’est pas entre ses jambes. Seuls les intégristes religieux, les machistes à l’ancienne ou les puritains obsessionnels, estiment qu’une femme non pucelle au mariage, ou adultère, est « indigne ». Seuls les mêmes, donc, devraient pouvoir croire qu’une femme a perdu sa dignité dans un viol. Dans certains pays, des femmes violées sont d’ailleurs assassinées par leurs familles au nom de « l’honneur ». Le contresens de M. Domenach (et de la plupart des commentateurs) est donc total. Le passage de cette tribune est non seulement exact (et « digne » ai-je envie d’ajouter) mais il nous rappelle une vérité fondamentale : le violeur, l’agresseur, le criminel, n’a aucun pouvoir moral sur sa victime. Pourtant M. Domenach et ceux qui le suivent veulent absolument que le viol touche à la dignité des femmes. Et pourquoi ? Parce que, dit-il, nier l’atteinte à leur dignité c’est affirmer qu’elles «n’ont pas à se plaindre.» Le texte de la tribune ne dit pas du tout cela. Bien sûr elles peuvent se plaindre : le viol est une monstrueuse souffrance physique et morale, personne n’en doute à part quelques imbéciles , extrémistes et provocateurs, inutile d’inventer une perte de dignité pour se plaindre, inutile de s’aligner sur tous les intégristes et puritains.

De Villiers dit sa vérité

L’homme politique désormais retiré du jeu Philippe de Villiers sort un livre, édité chez Albin Michel, et intitulé « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu ». Il d’agit de dénoncer la « haute trahison des élites mondialisées ». C’est curieux, une fois qu’ils n’ont plus rien à perdre en termes d’image et de carrière, beaucoup d’hommes politiques balancent « leur » vérité. Nous aurions aimé entendre cela pendant qu’il était aux affaires. Mais nous ne sommes pas naïfs. Faudra-t-il donc attendre que tous nos gouvernants approchent de la fin – de carrière ou de vie – pour que les langues de bois se délient ?

Pour Sarko, encore plus d’efforts

Nicolas Sarkozy, président des Républicains, a affirmé ce dimanche qu’il voulait «l’alternance aux régionales». «Après, on commencera l’année suivante avec beaucoup d’appétit», a-t-il ajouté lors d’un meeting de soutien dans le Val-de-Marne à Valérie Pécresse, candidate de son parti à la présidence de l’Ile-de-France au scrutin de décembre. «Je ne crois pas possible de réformer notre pays, il faut le refonder», a lancé l’ex-chef de l’État devant environ 4.000 personnes rassemblées au Pavillon Baltard à Nogent-sur-Marne, où il a été chaleureusement applaudi. Au premier rang avaient pris place, outre Valérie Pécresse, les principaux ténors de la droite et du centre: les anciens premiers ministres Alain Juppé et François Fillon, l’ancien ministre Bruno Le Maire, le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, la vice-présidente du MoDem Marielle de Sarnez. «La réforme sera digérée par nos administrations. La gravité de la situation est telle que nous allons devoir faire un effort d’une ampleur inégalée. En 1958, le général De Gaulle s’est retouvé dans une situation où il fallait réinventer des institutions, réinventer une monnaie, réinventer un projet. Nous allons nous retrouver dans cette situation-là», a affirmé le candidat malheureux de 2012, dans un véritable discours de pré-campagne. «On aura besoin de la solidité de chacun d’entre vous. Il ne faudra pas se faire de procès entre nous», a-t-il ajouté, à l’adresse de ses concurrents à la primaire de novembre 2016, et pour laquelle il ne devrait pas déclarer sa candidature avant le mois de septembre 2016. Anticipant un éventuel retour de son camp au pouvoir en 2017, il a assuré: «il va falloir prendre des décisions, chambouler très fort la France. L’échec de François Hollande était inscrit dans le mensonge de sa campagne de 2012», a-t-il réaffirmé. Mais «les mêmes causes produiraient pour nous les mêmes effets», a-t-il mis en garde. Il faudra «affronter ce que nous n’aimons pas faire: la pensée unique, le contexte médiatique», «si nous pensons qu’en matière de fiscalité, il faut faire des choix drastiques (…)», alors les faire. «Il va falloir réconcilier la France avec le travail, l’effort, le mérite», a-t-il dit, réitérant des leitmotivs de sa campagne de 2012. De son côté Valérie Pécresse, tête de liste en Ile-de-France pour les régionales avait vanté un peu plus tôt «l’union de la droite et du centre» réalisée avec l’UDI et le MoDem en vue du scrutin de décembre. L’ancienne ministre a longuement défendu l’alternance, face à une gauche qu’elle accuse de ne pas avoir tenu ses promesses, alors que les sondages donnent sa liste au coude à coude avec celle de Claude Bartolone. «Nous, nous n’avons pas besoin d’un référendum pour savoir si nous avons envie de travailler ensemble. Nous, nous aimons les mariages de projets, pas les mariages forcés», a lancé Valérie Pécresse, en allusion au référendum que va organiser le Parti socialiste pour appeler à l’union à gauche dans la perspective des régionales. La candidate à la présidence de la plus grande région de France a sévèrement critiqué le bilan de l’équipe de gauche sortante. «Tous les Franciliens me le disent. On vit moins bien aujourd’hui en Ile-de-France qu’en 1998, lorsque les socialistes ont pris le pouvoir». «Les prix du logement ont flambé. La situation des transports a dramatiquement empiré. Les vols et les trafics explosent. Le chômage bat chaque mois de nouveaux records. 80% des Franciliens disent qu’ils souhaiteraient vivre ailleurs», a-t-elle martelé. «Cet immense gâchis, c’est le bilan de trois mandats de la gauche en Ile-de-France. Un bilan tellement calamiteux que François Hollande en personne a été obligé d’aller chercher un candidat socialiste de rechange… au perchoir de l’Assemblée nationale», a-t-elle dit, en référence au choix de Claude Bartolone plutôt qu’à une nouvelle candidature du sortant Jean-Paul Huchon. Promettant que si elle devenait présidente de l’Ile-de-France, il n’y aurait «ni territoires de non droit ni de bénéficiaires de passe-droits», Valérie Pécresse a été applaudie lorsqu’elle a déclaré que «les droits des femmes doivent être respectés». «Dans la République, dans notre région, les femmes doivent circuler à visage découvert. Nous ne devons pas céder sur ce point et faire semblant de ne pas voir la situation», a-t-elle lancé. Elle a également promis de «casser les ghettos en arrêtant de financer du logement très social dans les villes où il y a déjà plus de 30% de logement social. La mixité sociale, c’est dans les deux sens». Il s’agit de son deuxième gros meeting depuis le début de sa campagne, après celui de Rosny-sous-Bois en avril, qui avait rassemblé 2.000 personnes environ. François Fillon y avait assisté, sans prendre la parole. Aucun autre responsable du parti n’était présent. «Le premier meeting était celui de la mobilisation, le deuxième celui du rassemblement de la droite et du centre, et de son projet pour l’Ile-de-France», a affirmé l’entourage de Valérie Pécresse. Dimanche dernier, la candidate avait appelé l’ensemble des responsables de la droite à être «patients», en leur lançant «les primaires, c’est en 2016!»

Protéger l’Islam

La première réunion de l’instance de dialogue avec l’islam de France, ce lundi 15 juin, a ouvert le débat sur plusieurs thématiques comme les pratiques rituelles, la construction et la gestion des lieux de culte ou encore la lutte de l’islamophobie. A l’issue de cette réunion, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé la mise en place de plusieurs mesures destinées à réformer l’islam de France et lutter contre le racisme avec notamment la création d’une cellule pour détecter et lutter contre les messages xénophobes, islamophobes et racistes sur Internet. Le ministre a également annoncé l’investissement de 9 millions d’euros dans la protection des lieux de culte. Le ministre de l’Intérieur souhaite également que les imams venus de l’étranger parlent français. Sur 1800 imams en fonction, seuls 30% seraient de nationalité française. « C’est la maîtrise de la langue qui leur permettra de jouer pleinement leur rôle social et non pas seulement liturgique. Il faut que les imams puissent s’adresser à leurs fidèles, dialoguer avec eux tout comme les autorités civiles » a déclaré Bernard Cazeneuve, ajoutant que les imams et aumôniers étrangers devront également suivre une formation « civile et civique » de 120 à 200 heures et ainsi obtenir un diplôme universitaire. Des cours sur les principes de la laïcité et la sociologie des religions en France, le droit du culte et la gestion des associations culturelles seront donc dispensés à Paris, Lille et Toulouse, pour les imams étrangers souhaitant exercer en France. D’après Le Parisien, le gouvernement serait en train de recruter des aumôniers musulmans dans les prisons afin de lutter contre la radicalisation. Une soixantaine d’entre eux serait déjà en phase de recrutement. Le ministère de l’Intérieur espère les séduire en augmentant le plafond de leurs heures d’exercice et ainsi leur permettre d’effectuer 1600 heures au lieu de 1000 en une année. Leur rémunération doublerait et s’élèverait à plus de 2000 euros net pour une semaine de 35 heures, contre 1500 actuellement. Bernard Cazeneuve appelle les victimes de racisme à porter plainte. Bernard Cazeneuve a encouragé les victimes d’actes antimusulmans à porter plainte, estimant que « ce phénomène odieux est sous-estimé, parce que trop de victimes hésitent à parler plainte ». Pour le ministre de l’Interieur, « il faut que les victimes portent plainte contre les actes et les menaces dont elles font l’objet. Ces plaintes doivent être prises et transmises systématiquement à la justice, de manière à ce qu’elles soient instruites et fassent l’objet d’une réponse pénale très forte et sans délai ».

Peut-on arrêter de jouer avec la laïcité ?

La laïcité a été mise au cœur de la « grande mobilisation pour les valeurs de la République » annoncée le 22 janvier par le gouvernement en réponse aux attentats. Mais s’est-on assez demandé ce que la laïcité avait à voir dans les assauts criminels contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes? En quoi une formation préalable à la laïcité aurait-elle entravé les délires meurtriers des Kouachi et de Coulibaly? La laïcité est la pierre angulaire du système des libertés publiques, en France comme dans bien d’autres pays d’ailleurs: il n’y a pas de spécificité française à ce niveau, note le Conseil d’Etat dans son rapport « Un siècle de laïcité » (2004). Les membres de la société jouissent d’une pleine liberté de conscience, entendue comme liberté de conviction et d’expression religieuse, conformément à la déclaration des droits de l’homme de 1789 et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui l’explicite. La France « respecte toutes les croyances », stipule l’article 1 de notre constitution. Le principe de laïcité ajoute à cette promesse de liberté des clauses propres à la garantir: neutralité de l’Etat, égalité de traitement de toutes les convictions religieuses. En France métropolitaine, on le sait, c’est par la séparation des Eglises et de l’Etat (qui n’exclut pas une articulation si nécessaire) que ces garanties sont mises en œuvre, l’Alsace-Moselle bénéficiant d’une autre modalité, sans être pour autant soustraite au principe fondamental de laïcité, évidemment. Assassiner quelqu’un n’est pas enfreindre la laïcité ; assassiner quelqu’un pour motifs religieux pas davantage. C’est violer la loi et l’ordre public, bafouer le respect dû à tout homme. Mettre en avant la laïcité pour y répondre, n’est-ce pas alors se tromper de riposte? C’est notre communauté morale qui est en cause, sans laquelle effectivement nos institutions démocratiques sont menacées. Renan l’a bien perçu dans son discours « Qu’est-ce qu’une nation? », en 1880. Mais aujourd’hui, qui sait comment faire nation ou faire communauté avec des membres qui ne s’aiment guère, dont certains estiment que les autres n’ont rien à faire ici? Tel est le défi que doit relever une réaction pertinente à ce qui s’est passé en janvier. Focaliser sur la laïcité risque aussi d’entretenir une mauvaise habitude de l’action publique, au détriment des musulmans. Depuis bien longtemps en France, on joue avec la laïcité vis-à-vis des musulmans pour faire le contraire de la laïcité, c’est-à-dire pour limiter les libertés. Dans l’Algérie coloniale, on a prétendu « appliquer » la loi de séparation des Eglises et de l’Etat à l’aide de décrets à caractère dérogatoire: appliquer la loi sur la laïcité consistait à maintenir le contrôle administratif et policier sur l’islam. Aujourd’hui que fait-on? La loi du 15 mars 2004 restreint l’applicabilité de la laïcité aux élèves sous statut scolaire. Or elle s’intitule « loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse… » (nous soulignons). Et l’on a vu, en 2010-2012, feu le Haut Conseil à l’Intégration multiplier les exhortations à interdire, toujours au nom de la bonne et totale « application » du principe de laïcité. Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il laissé passer l’intitulé fallacieux? Il pousse les enseignants et chefs d’établissement à croire qu’en interdisant, ils appliquent la laïcité. Alors qu’en interdisant ils appliquent une loi, et une loi qui a sensiblement réduit l’application du principe de laïcité dans l’espace scolaire, mais là seulement.

Parlons des inégalités

Le tournant du XXe siècle aux Etats-Unis est considéré avec nostalgie aux Etats-Unis. Certains y cherchent inspiration pour relancer la cause progressiste, non sans illusion. Professeur d’histoire à Yale, David Huyssen vient de publier un livre revisitant le début du XXe siècle aux États-Unis, une période qui fait aujourd’hui l’objet d’une nostalgie excessive, selon lui. Dans Progressive Inequality (Harvard University Press, 378 pages), il tente une relecture de la Progressive Era, l’Ère progressiste (1890-1920), pour en souligner les paradoxes. Généralement vue comme une période d’avancées sociales, elle aurait rompu avec le capitalisme effréné de la période précédente, le Gilded Age (la Période dorée, 1870-1900). Cependant, selon David Huyssen, cette époque était habitée par un esprit plus velléitaire que réformiste, qui a laissé croître les inégalités. Il revient ici sur la transition entre ces deux périodes, régulièrement évoquées aujourd’hui dans le débat américain. Qu’est-ce qui caractérise la Gilded Age et la Progressive Era ? Au cours du Gilded Age, l’industrie se développe très rapidement sans réel encadrement gouvernemental. La corruption règne et accompagne la croissance des principaux secteurs de l’économie : l’agriculture, le transport ferroviaire, le pétrole, l’industrie. La violence s’intensifie entre la fin des années 1870 et le début des années 1890 lorsque certaines entreprises forment des armées privées pour briser les grèves et les syndicats. L’élite économique prend alors conscience des dommages causés par ces excès, de la montée de la pauvreté, des problèmes sanitaires soulevés par l’urbanisation accélérée. Jacob RiisDeux livres ont marqué les cœurs et les esprits. Je pense ici à How the other half lives (Comment l’autre moitié vit), publié en 1890 par le photojournaliste Jacob Riis. Il y documente les conditions de vie dans les bidonvilles de New York. Puis en 1899, le sociologue et économiste Thorstein Veblen fait paraître sa Théorie de la classe de loisir qui dénonce la consommation effrénée et ostentatoire dont les plus nantis se rendent coupables. Les universités sont également traversées par ce débat. Les femmes y ont désormais accès et certaines d’entre elles deviennent infirmières volontaires dans des settelment houses (maisons d’implantation) qu’elles aident bien souvent à mettre sur pied. Leur ambition était de former des communautés où riches et pauvres pouvaient cohabiter, et où l’on offrait des services sociaux. Je pense ici à des femmes comme la philosophe Jane Addams (1860-1935) ou Lillian Wald (1867-1940), ou Florence Kelley (1859-1932). Elles venaient de familles aisées et ont fait connaître dans leurs milieux les effets de la pauvreté. Enfin, rappelons l’influence du combat anti-monopole qui mena en 1890 à l’adoption du Sherman Anti-Trust Act en 1890. Cette loi est venue renforcer la concurrence dans le transport du grain. Le mouvement populiste, une mobilisation populaire née dans les campagnes, est aux avant-postes de ce combat, poursuivi ensuite par les représentants de l’Ere progressiste. Évoquer ce passé suscite un certain malaise, car il faut bien admettre qu’une union des villes et des campagnes est aujourd’hui difficilement imaginable, tant les États agricoles sont devenus conservateurs. D’où vient ce regain d’intérêt pour l’Ere progessiste ? Entre cette époque et la nôtre, il existe un point commun, l’intérêt porté aux inégalités. Jusque dans les années 2000, il aurait été impensable de voir le New York Times créer une rubrique spécifique pour traiter ce sujet. C’est pourtant ce qu’il a fait avec The Great Divide, un blog qui était dirigé par l’économiste Josepht Stiglitz. Bien que ce blog ait cessé ses activités en juin, trois journalistes du quotidien de référence continuent de couvrir le sujet, Louis Uchitelle, David Leonhardt et Thomas B. Edsall. Différents intellectuels ont en outre apporté des contributions remarquées. Je pense notamment au journaliste Timothy Noah avec son livre The Great Divergence, (Le grand écart, non-traduit), paru en 2012, et à Joseph Stiglitz qui a lui fait paraître Le Prix de l’inégalité en 2013 (publié en France par Actes Sud, 2014, 501 pages, 16.70 euros). Le documentaire de l’économiste Robert Reich, ancien ministre du travail, intitulé l’Inégalité pour tous (2013), a aussi bénéficié d’une jolie popularité pour un film du genre. Inutile enfin de vous parler du succès rencontré par le livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle (Seuil, 2013).

La France Charlie, on en parle encore

Depuis les attentats un Paris, la controverse est engagée entre de nombreux intellectuels américains : un sursaut de tolérance est-il possible en France ? Après les attentats de Paris, la National Review, revue de référence pour la droite conservatrice américaine, a révisé son jugement : la France ne serait pas, après tout, un pays de « singes capitulards bouffeurs de fromage ». La National Review qui avait popularisé cette expression au moment de la guerre en Irak (sans l’avoir créée) l’affirme aujourd’hui, la France n’est absolument pas défaitiste et ne l’a jamais été. Dans les dossiers libyen et syrien, la France ne fait-elle pas preuve d’une détermination qui manque aujourd’hui à Barack Obama, remarque le journaliste James Poulos ? Aussi, ne nous laissons pas abuser, si la France est rentrée dans les grâces de cette revue, c’est qu’elle a une certaine utilité pour tacler la maison blanche. Depuis les attentats, la presse américaine multiplie les articles d’opinion sur la France. D’analyses en chroniques se rejouent certains débats propres aux États-Unis, mais on fait aussi de la France l’épicentre d’enjeux mondiaux qui la dépassent : comment en finir avec la stigmatisation des minorités musulmane et juive, comment défaire l’islam radical et l’extrême droite. Ross Douthat, chroniqueur conservateur du New York Times, estime que la France est à ce titre le « creuset de l’Europe », car le destin du continent s’y joue. Notre pays incarne au fond le retour de l’Histoire, face à ceux qui se contentaient de ne considérer que les questions d’économie. L’essayiste Donald Morrison, auteur de La mort de la culture française (Denoël), craint cependant que la lutte contre le terrorisme ne donne prétexte à la France d’adopter la posture dans laquelle elle se complaît, celle d’une grande nation qui brille à l’international. Dans un article publié par The New Republic, il regrette que Paris continue de poursuivre des rêves de grandeur en lançant des interventions militaires à l’étranger. Des enjeux plus pressants demandent son attention sur la scène intérieure : en finir avec l’exclusion des citoyens des banlieues. Dix ans après les émeutes de Clichy-sous-Bois, force est malheureusement d’admettre que les clivages sociaux et ethniques se sont approfondis en France et que l’intégration des Français musulmans est un grand raté de la République. A ce sujet, un consensus existe aux Etats-Unis, Oncle Sam aurait mieux su reconnaître l’apport des minorités que Marianne. Il est intéressant de noter que le titre qui accueille l’article de Donald Morisson est un ancien bastion de la gauche va-t-en-guerre, qui a tempéré ses positions depuis la débâcle irakienne. The New Republic s’est rapproché de cette gauche américaine, qui, comme Barack Obama, estime que le nation building doit se faire en Amérique. Reprenant en quelque sorte cette idée, Donald Morrison l’applique au cas français. L’ethnographe John Bowen a lui aussi tenu des positions assez sévères à l’égard de la France, notamment dans son livre L’Islam, un ennemi idéal (Albin Michel 2014). Il se montre cependant plus conciliant dans l’article qu’il publie en ouverture du dossier consacré par la Boston Review à « la France après Charlie Hebdo ». John Bowen dit croire en la capacité d’un renouveau des institutions françaises pour mieux intégrer les musulmans, comme elles l’ont fait par le passé pour d’autres minorités. Il regrette cependant « la suppression des différences visibles » à laquelle l’Etat français se livre, notamment depuis l’interdiction du port du voile à l’école. Tenus à l’écart de la vie publique, renvoyés à leur identité religieuse, les musulmans en sont donc venus, par réaction, à demander des droits religieux. Le repli communautaire serait avant tout une réponse à la domination subie. Cette lecture des événements ne fait cependant pas consensus au sein de la gauche. Déjà en 2007 lorsque John Bowen avait fait paraître le livre « Why the French don’t like headscarves » (Pourquoi les Français n’aiment pas le voile, non traduit), The New York Times avait publié une critique au vitriol. Son auteur, Mitchell Cohen, rédacteur en chef de la revue Dissent, reprochait à l’ethnographe d’entretenir une vision biaisée du monde, qui refusait de prendre en compte la montée d’un islam politique.

On commence à attaquer Clinton

Candidate pressentie à la Maison-Blanche en 2016, Hillary Clinton a retrouvé mardi la tourmente politique, assaillie de critiques pour avoir utilisé une messagerie personnelle lorsqu’elle était secrétaire d’État – un choix qu’elle a regretté, mais défendu. Mettant fin à plus d’une semaine de silence sur la question, Hillary Clinton a fait face à des dizaines de journalistes mardi après un discours sur les droits des femmes aux Nations unies, à New York, dans le but de mettre fin à une controverse qui fait tanguer ce qui pourrait devenir sa seconde candidature à la présidentielle. Pourquoi a-t-elle choisi, à sa nomination par Barack Obama en 2009, d’utiliser son propre serveur d’emails, au nom de domaine @clintonemail.com, plutôt qu’une adresse officielle en .gov? «Je pensais qu’il serait plus simple d’avoir sur moi un seul appareil plutôt que deux pour le travail et pour mes emails personnels», a dit Hillary Clinton, avant de convenir: «avec le recul, il aurait probablement été plus intelligent d’avoir eu deux appareils». Elle n’a pas évoqué la possibilité d’avoir deux comptes sur le même appareil. «Mais je suis absolument convaincue que tout ce qui pouvait avoir trait au travail est désormais en possession du département d’État», a-t-elle ajouté. A la demande du département d’État, en octobre 2014, ses avocats ont fait le tri des 62 320 messages accumulés entre mars 2009 et février 2013 sur son serveur, installé physiquement dans sa maison de l’État de New York. Environ la moitié (30 490) étaient liés à ses responsabilités officielles et ont été transmis, pour archivage, au département d’État en décembre 2014, a détaillé son bureau personnel dans un document de neuf pages envoyé à la presse. Ces messages, environ 55 000 pages imprimées, ont vocation à être publiés dans plusieurs mois sur internet par le département d’État, une fois expurgés de toute information sensible. «J’ai pris la décision sans précédent de dire, allez-y, rendez-les publics pour que les gens puissent les voir», a dit Hillary Clinton. «Les lois et règlements en vigueur lorsque j’étais secrétaire d’État m’autorisaient à utiliser mon email pour le travail».

Quand un enfant de 8 ans fait l’apologie du terrorisme

Tout a commencé le 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Ahmed, 8 ans, était en classe avec ses camarades de CE2 de l’école Nice Flore (située à Nice Ouest), quand il a été interpellé par son instituteur qui lui a demandé s’il était “Charlie”. Étant de confession musulmane, et âgé de seulement 8 ans, il répond naïvement “Je suis du côté des terroristes, car je suis contre les caricaturistes du prophète’”, explique son avocat. Ulcéré, son professeur l’envoie vers le directeur de l’établissement, qui se trouve dans la classe d’à côté, et qui lui pose alors la question trois fois devant toute la classe: “est-ce que tu es Charlie?” Ses parents, immédiatement avertis, “ont joué un rôle pédagogique en lui expliquant ce qu’était réellement le terrorisme, et pourquoi il fallait évidemment être du côté des victimes à Charlie Hebdo”, poursuit Me Guez Guez. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais le 21 janvier, le directeur de l’école décide de déposer plainte, pour deux infractions: “apologie du terrorisme” contre Ahmed, et “intrusion” contre son père. Le cabinet de la ministre de l’Education, qui a d’abord assuré ne pas être informé de cette affaire, précise finalement : « La plainte n’a pas été déposée contre Ahmed, mais contre son père pour “intrusion”. S’agissant de l’enfant, il y également eu un signalement à la protection de l’enfance. Nous ne pouvons rien dire de plus car le dossier est maintenant dans les mains du procureur. » C’est dommage, j’aurais été heureux de donner le nom de cet instituteur “bon citoyen français”… Selon l’école, convoqué par le chef d’établissement, le père de l’écolier aurait eu une “attitude menaçante”. L’école a alors déposé plainte contre le parent d’élève pour “intrusions” dans l’établissement et “menaces”. Effectivement, l’enfant étant très perturbé et isolé depuis les faits, son père l’a accompagné jusque dans la cour de récréation à trois reprises après le 8 janvier, pour le rassurer, avant de se voir interdit d’accès. Trois reprises qui lui ont valu cette plainte pour intrusion, selon Me Guez Guez. Selon l’académie de Nice, contactée par metronews, l’enfant a tenu en classe des “propos inadmissibles”. “Il y a eu un signalement auprès de la cellule de protection de l’enfance” précise le rectorat. Contactée, la mairie de Nice avoue ne pas être au courant de ce cas particulier, mais indique que “malheureusement, des enfants de 8 ans tiennent ou ont tenu à l’école des propos faisant l’apologie du terrorisme. S’ils tiennent ces propos, c’est qu’ils les ont entendu dans leur famille, donc nous faisons remonter l’information au préfet”. L’affaire est prise très au sérieux puisque le garçonnet a été convoqué par la police ce 28 janvier, et entendu par un officier de police judiciaire. L’enfant avait déjà refusé d’observer une minute de silence et de participer à une ronde de solidarité dans son école primaire, au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, a indiqué le directeur départemental de la sécurité publique Marcel Authier. « On a convoqué l’enfant et son père pour essayer de comprendre comment un garçon de 8 ans peut être amené à tenir des propos aussi radicaux », explique M. Authier. L’enfant a été entendu pendant 30 minutes, puis a joué avec des jouets pendant l’audition de son père, civilement responsable. Visiblement, l’enfant ne comprend pas ce qu’il a dit. On ne sait pas où il est allé chercher ses propos », selon le directeur départemental de la sécurité publique. Le jeune garçon a quitté le commissariat après environ deux heures d’audition. « C’est insensé, c’est un enfant de 8 ans, cette procédure est complètement disproportionnée, tonne Me Sefen Guez Guez, l’avocat du mineur et de ses parents, que nous avons contacté par téléphone. Les policiers lui ont demandé ce que voulait dire le mot terrorisme, il était bien incapable de répondre. Il a 8 ans, il dessine des Pokemon sur ses cahiers ! Il ne sait pas ce que c’est que le terrorisme ! On a pris au sérieux des paroles d’un enfant de 8 ans qui ne comprend pas ce qu’il dit. C’est absurde. » Les parents ont souligné durant l’audition qu’ils condamnaient fermement les propos de leur fils, toujours selon Me Guez Guez.