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Le statut de lanceur d’alerte

Alors que la loi Sapin 2 a instauré un statut pour les lanceurs d’alerte, l’eurodéputée Virginie Rozière travaille pour que la Commission, à Bruxelles, initie une proposition de directive sur le sujet. Interview. Si un statut européen du lanceur d’alerte existait, Antoine Deltour et Raphaël Halet, au coeur du scandale LuxLeaks sur les pratiques fiscales de grandes multinationales au Grand-Duché, n’auraient pas été condamnés au printemps dernier. Euro-députée du Parti radical de gauche, Virginie Rozière tente de faire avancer les choses. Mais la route est longue. Entretien. Au Parlement européen, vous êtes en charge d’un rapport d’initiative législative sur le statut de lanceur d’alerte. Expliquez-nous en quoi cela consiste. Une des particularités du fonctionnement des instances européennes, c’est que le Parlement, à Strasbourg, n’a pas l’initiative législative. Celle-ci est uniquement entre les mains de la Commission, à Bruxelles. Le rapport d’initiative législative dont j’ai la charge va permettre au Parlement de présenter sa position formelle sur le sujet de la protection des lanceurs d’alerte, et d’y annexer une ébauche de directive, en espérant que cela influence la Commission dans sa décision d’en proposer une. Nous avions espéré que le sujet soit traité dans la directive sur le secret des affaires, mais au final, ce qui a été voté est largement insuffisant. Pourquoi la Commission se montre-t-elle frileuse ? Il y aurait, dit-elle, un obstacle juridique car l’Union Européenne ne pourrait légiférer en matière pénale. Nous soutenons que cet obstacle n’en est pas un. La Commission a en effet le droit d’harmoniser le droit pénal dans tous les secteurs où elle a une compétence. C’est-à-dire l’environnement, la protection des consommateurs, le marché intérieur, le droit de la concurrence, la sécurité des produits, la fiscalité, bref, à peu près tout sauf ce qui relève du secret-défense ou de la sécurité nationale. En fait, la Commission rechigne de peur de ne pas être suivie par les Etats membres. Elle anticipe des blocages. Mais il se trouve que les Etats membres ont changé de position au cours du mois d’octobre. En Conseil sur la transparence fiscale, ils ont convenu que la protection des lanceurs d’alerte est importante et encouragé la Commission à étudier la possibilité d’une future action au niveau de l’UE. Du coup la Commission a lancé une étude juridique pour étudier la faisabilité de légiférer sur le sujet. Vous voyez, la situation évolue. Aujourd’hui, combien d’Etats membres disposent d’une protection pour les lanceurs d’alerte ? La France est le cinquième pays à s’être dotée d’une telle protection, avec l’adoption de la loi Sapin 2 cette année. La Hongrie avait sauté le pas en 2010, juste avant l’élection de Viktor Orban. La Suède a été précurseur. Elle dispose d’une protection du lanceur d’alerte depuis le milieu du XVIIIe siècle! C’est le dispositif qui se rapproche le plus de ce qu’on voudrait faire au niveau européen. Justement, quelle serait la protection idéale ? Nous sommes encore en train de rencontrer des lanceurs d’alerte, des ONG, des juristes, pour définir précisément les besoins. Mais à ce stade, quelques points émergent déjà. Il faudrait par exemple que la protection, judiciaire et financière, soit valable quel que soit le mode de dénonciation. Au Luxembourg, le statut atteint vite ses limites, car il est impossible de s’en prévaloir dès lors qu’on a fait ses révélations à la presse. Là-bas, le signalement doit rester interne! Autant dire que cela permet d’étouffer les affaires. Quelle serait la procédure pour obtenir le statut ? Il faudrait surtout qu’une autorité indépendante se prononce dans l’urgence pour savoir si la personne peut a priori se prévaloir de la protection du lanceur d’alerte. Cette période qui succède tout juste le signalement est toujours éprouvante, la personne est sous pression. C’est à ce moment-là qu’il faut la soutenir. Obtenir la qualification de la part de cette autorité indépendante donnerait droit à une prise en charge des frais de justice et à un dédommagement, pour subvenir à ses besoins vitaux. J’insiste sur l’importance d’avoir une supervision européenne, et de ne pas laisser les Etats se prononcer eux-mêmes sur la question, car certains mettraient sans doute moins de zèle à offrir la protection. Et puis, c’est aussi une manière d’assurer un peu l’homogénéité des procédures. Par ailleurs, il y a des scandales qui dépassent les Etats, en témoigne l’affaire LuxLeaks.