La France Charlie, on en parle encore

Depuis les attentats un Paris, la controverse est engagée entre de nombreux intellectuels américains : un sursaut de tolérance est-il possible en France ? Après les attentats de Paris, la National Review, revue de référence pour la droite conservatrice américaine, a révisé son jugement : la France ne serait pas, après tout, un pays de « singes capitulards bouffeurs de fromage ». La National Review qui avait popularisé cette expression au moment de la guerre en Irak (sans l’avoir créée) l’affirme aujourd’hui, la France n’est absolument pas défaitiste et ne l’a jamais été. Dans les dossiers libyen et syrien, la France ne fait-elle pas preuve d’une détermination qui manque aujourd’hui à Barack Obama, remarque le journaliste James Poulos ? Aussi, ne nous laissons pas abuser, si la France est rentrée dans les grâces de cette revue, c’est qu’elle a une certaine utilité pour tacler la maison blanche. Depuis les attentats, la presse américaine multiplie les articles d’opinion sur la France. D’analyses en chroniques se rejouent certains débats propres aux États-Unis, mais on fait aussi de la France l’épicentre d’enjeux mondiaux qui la dépassent : comment en finir avec la stigmatisation des minorités musulmane et juive, comment défaire l’islam radical et l’extrême droite. Ross Douthat, chroniqueur conservateur du New York Times, estime que la France est à ce titre le « creuset de l’Europe », car le destin du continent s’y joue. Notre pays incarne au fond le retour de l’Histoire, face à ceux qui se contentaient de ne considérer que les questions d’économie. L’essayiste Donald Morrison, auteur de La mort de la culture française (Denoël), craint cependant que la lutte contre le terrorisme ne donne prétexte à la France d’adopter la posture dans laquelle elle se complaît, celle d’une grande nation qui brille à l’international. Dans un article publié par The New Republic, il regrette que Paris continue de poursuivre des rêves de grandeur en lançant des interventions militaires à l’étranger. Des enjeux plus pressants demandent son attention sur la scène intérieure : en finir avec l’exclusion des citoyens des banlieues. Dix ans après les émeutes de Clichy-sous-Bois, force est malheureusement d’admettre que les clivages sociaux et ethniques se sont approfondis en France et que l’intégration des Français musulmans est un grand raté de la République. A ce sujet, un consensus existe aux Etats-Unis, Oncle Sam aurait mieux su reconnaître l’apport des minorités que Marianne. Il est intéressant de noter que le titre qui accueille l’article de Donald Morisson est un ancien bastion de la gauche va-t-en-guerre, qui a tempéré ses positions depuis la débâcle irakienne. The New Republic s’est rapproché de cette gauche américaine, qui, comme Barack Obama, estime que le nation building doit se faire en Amérique. Reprenant en quelque sorte cette idée, Donald Morrison l’applique au cas français. L’ethnographe John Bowen a lui aussi tenu des positions assez sévères à l’égard de la France, notamment dans son livre L’Islam, un ennemi idéal (Albin Michel 2014). Il se montre cependant plus conciliant dans l’article qu’il publie en ouverture du dossier consacré par la Boston Review à « la France après Charlie Hebdo ». John Bowen dit croire en la capacité d’un renouveau des institutions françaises pour mieux intégrer les musulmans, comme elles l’ont fait par le passé pour d’autres minorités. Il regrette cependant « la suppression des différences visibles » à laquelle l’Etat français se livre, notamment depuis l’interdiction du port du voile à l’école. Tenus à l’écart de la vie publique, renvoyés à leur identité religieuse, les musulmans en sont donc venus, par réaction, à demander des droits religieux. Le repli communautaire serait avant tout une réponse à la domination subie. Cette lecture des événements ne fait cependant pas consensus au sein de la gauche. Déjà en 2007 lorsque John Bowen avait fait paraître le livre « Why the French don’t like headscarves » (Pourquoi les Français n’aiment pas le voile, non traduit), The New York Times avait publié une critique au vitriol. Son auteur, Mitchell Cohen, rédacteur en chef de la revue Dissent, reprochait à l’ethnographe d’entretenir une vision biaisée du monde, qui refusait de prendre en compte la montée d’un islam politique.